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Pourquoi deux récits de multiplication des pains?

Épreuve

(photo©Depositphotos)

Le miracle de la multiplication des pains est l’un des rares récits que l’on retrouve dans les quatre évangiles. Et pour Matthieu et Marc, il semble si important qu’ils le racontent à deux reprises (Mc 6,30-44 et 8,1-10 ; Mt 14,13-21 et 15,32-39). La répétition est-elle le reflet de deux traditions différentes ou s’agit-il, chez Marc (suivi par Matthieu) d’une manière d’attirer l’attention de ses lecteurs et de ses lectrices sur une problématique vécue dans sa communauté qui peut encore nous interpeller aujourd’hui? Dans la suite de cette réflexion, nous nous limiterons à examiner le texte de l’évangile selon Marc, qui est antérieur à celui de Matthieu, pour tenter de comprendre la stratégie du rédacteur.

Le premier récit (Mc 6,30-44) se déroule en territoire galiléen. Le geste de Jésus rappelle le don de la manne au désert (Exode 16) :

Jésus prit les cinq pains et les deux poissons ; il leva les yeux au ciel, prononça la bénédiction et rompit les pains ; il les donnait aux disciples pour qu’ils les offrent aux gens. Quant aux deux poissons, il les partagea entre tous. (Mc 6,41)

Les paroles de Jésus trouvent un écho dans le récit du dernier repas avec ses disciples :

Pendant le repas, Jésus pris du pain, prononça la bénédiction, rompit le pain et le leur donna... (14,22) 

En d’autres termes, l’évangéliste donne ici une clé de lecture de l’événement qui est un prélude au repas du Seigneur ou à l’eucharistie. Avec ce récit, Marc « n’écrit pas seulement pour rappeler des faits anciens, il écrit pour montrer l’actualité même du don de la vie par Jésus ». [note 1] Un détail à la fin du récit – les restes qui remplissent douze paniers – signifie à la fois l’abondance et indique que ce geste, que nous reprenons à chaque eucharistie, concerne l’ensemble du peuple de Dieu (douze est le nombre des tribus d’Israël).

Le deuxième récit (Mc 8,1-10) survient en territoire païen. La symbolique des nombres change. Des cinq pains et deux poissons (premier récit), on passe à sept pains et les restes remplissent autant de corbeilles. Le texte nous dit aussi que Jésus « rend grâce », ce qui traduit le verbe grec eucharistein d’où vient notre mot eucharistie. La référence au repas du Seigneur est encore explicite mais la symbolique du chiffre sept, la perfection, nous amène à comprendre que le geste concerne ici toutes les nations.

L’évangéliste Marc a donc choisi délibérément de reproduire deux récits semblables pour montrer que le repas du Seigneur n’est pas réservé aux chrétiens issus du judaïsme mais que ceux et celles qui viennent du monde païen sont aussi invités à y prendre part. Il faut se rappeler que les premiers disciples étaient attachés aux règles alimentaires du judaïsme et que le partage du repas du Seigneur a provoqué des tensions dans plusieurs communautés. Le livre des Actes des apôtres en garde des traces (voir Ac 15) et la solution proposée par Marc s’inspire de l’enseignement de Jésus. Entre les deux multiplications des pains, l’évangéliste a inséré cet enseignement du maître :

Rien de ce qui pénètre de l’extérieur dans l’homme ne peut le rendre impur […] ce qui sort de l’homme, c’est cela qui le rend impur […] (7,17-23)

Tous peuvent donc prendre part au repas du Seigneur sans se soucier des règles du pureté de l’ancienne Alliance.

Si l’eucharistie est source de communion pour tous, une actualisation du récit pourrait nous amener à assouplir certaines de nos règles actuelles qui concernent l’accès à la table eucharistique. Je pense ici aux personnes divorcées qui ont décidé de se remarier. Le pape François a ouvert la discussion à ce sujet en 2016 [note 2] et on peut espérer un dénouement semblable à celui sur la problématique des règles alimentaires du premier siècle.

Sylvain Campeau
Bibliste et chargé de projets à l’OCQ.
Adjoint à la directrice pour la pastorale biblique à l’Office de l’éducation à la foi du diocèse de Montréal.
 

Notes

[1] François Brossier, « L’analyse narrative de la Bible et ses conséquences en catéchèse dans la manière de faire mémoire des événements fondateurs », Transversalités (2001) 57-69.
[2] Voir l’exhortation apostolique La joie de l’amour où le pape François autorise, sous certaines conditions, la communion des divorcés remariés.


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