La grâce des routes et des rencontres

Luc 17, 11-19 : 28^e Dimanche du temps ordinaire (Année C)

Jésus fait route vers Jérusalem. Cette expression revient comme un refrain en Luc. Jésus est un pèlerin, en marche sur un chemin rempli de risques et d’obstacles, mais aussi et surtout de rencontres. Ici, des gens viennent vers lui, mais ils gardent leur distance. Ce qu’ils donnent à percevoir, c’est leur voix, faisant appel à la compassion. Jésus les entend et il les voit. Ces gens viennent du bout du monde, d’un lieu d’exclusion qui est total. Car ils sont lépreux et considérés, à cette époque, comme tout-à-fait impurs. Ils sont rejetés hors de tout cercle social et religieux, dans la marge radicale. Mais Jésus les voit autrement. Et sa parole non seulement les guérit mais les réintègre dans la communauté de l’échange social et cultuel.

Oeuvre : Dix Lépreux, par James Christensen, États-Unis (Utah), www.ldsart.com

Leur guérison n’est pas venue seulement de cette parole. Comme d’autres dans les évangiles, ils se sont mis en marche, ils se sont approchés de Jésus, et ils ont supplié, disant la vérité de leur détresse, avec un espoir au coeur. Une première rencontre a ainsi lieu, qui se termine par une transformation, advenant sur la route, là où elle a commencé. Le récit aurait pu s’arrêter là, mais voici qu’il rebondit. Un des lépreux s’approche maintenant plus près de Jésus. Sa voix rend grâce; elle est passée de la supplication à la louange, bouclant ainsi le trajet de toute prière croyante. La rencontre entre cet homme et Jésus va plus loin que la première. Or, cet homme, lépreux purifié, est à double distance de Jésus car il est Samaritain. Mais c’est lui, l’étranger, qui accomplit tout le parcours de l’expérience croyante. Sa rencontre de Jésus n’est pas seulement utile par la dignité qu’elle lui redonne. Elle le fait entrer dans le monde de la gratuité, de la reconnaissance joyeuse pour le don. La rencontre se termine aussi sur la route, où Jésus l’appelle à marcher : Va.

Sur nos routes, nous pouvons nous reconnaître en ces lépreux qui osent sortir de leur marge et faire entendre leur voix, qui prennent le risque d’espérer et ainsi retrouvent leur dignité. Ou nous pouvons nous identifier à ce Samaritain qui a fait un pas de plus. Non seulement il est guéri, mais il voit qu’il est guéri. Ce retour réflexif sur son expérience le fait aller plus loin dans la foi et le rend capable d’action de grâces. Il ne s’en tient pas à l’immédiat de l’événement mais il en saisit le sens plus profond. Sa démarche nous appelle à interrompre notre course pour saisir les changements qui nous arrivent. Quel parcours ai-je accompli? Quelle source de vie a entendu mon cri et a défait les liens qui m’enfermaient dans l’isolement et le mépris? Alors peut-être deviendrons-nous capables, à notre tour, de glorifier le Dieu vivant, à pleine voix.

Sur cette route vers Jérusalem, une autre voie de sens est aussi offerte : celle de nous reconnaître en Jésus, l’homme des rencontres. Tant de cris se donnent à entendre, venant de visages que nous ne voyons pas, car ils sont écrits en marge de nos feuilles de route, à peine lisibles. Si nous les laissions s’approcher de nous, au lieu de les fuir, peut-être oserions-nous les voir, reconnaître leur existence, et leur communiquer une parole qui encourage, qui relève, qui recrée le lien social. Nous pourrions alors rencontrer des témoins de foi impressionnants, en ces visages étrangers dont spontanément nous nous serions tenus éloignés. C’est la grâce des routes et des rencontres.

Questions pour la réflexion :

En quoi je me reconnais (ou je reconnais des gens, des groupes) dans les lépreux? dans le lépreux Samaritain? en Jésus, l'homme des rencontres?

Quel appel, à court terme ou à plus long terme, ce récit me fait-il entendre?

Daniel Cadrin, o.p.