Prendre la route

Luc 9, 51-62 : 13^e Dimanche du temps ordinaire (Année C)

Littéralement, le texte de Luc se lit ainsi : « Jésus durcit son visage et prit la route de Jérusalem. Il envoya des messagers en avant de son visage. … son visage faisait route vers Jérusalem. » Un visage, une route. Un visage bien particulier, celui de Jésus de Nazareth à un point tournant de sa vie. Une route bien identifiée, celle qui mène à Jérusalem, au conflit et à l’exode. Ce texte de Luc condense une expérience profonde tant de Jésus que de ses disciples. Le début indique bien la solennité du moment : le temps de l’enlèvement de Jésus est arrivé, celui du passage pascal. Jésus n’y court pas allègrement, dans l’insouciance indifférente ou la confiance facile. Il est conscient du risque. Il a prêché et guéri, il a circulé et annoncé la Bonne nouvelle, il a rencontré accueil et refus. Mais une autre étape s’ouvre maintenant, qui demande de lui courage et détermination. Il doit prendre un tournant et faire face au défi qui l’attend, l’envisager de front. Son visage se durcit, comme celui du Serviteur d’Isaïe (Is 50,7) face à l’épreuve. C’est ce visage que Jésus tourne résolument vers Jérusalem, par delà la peur, le goût de fuir ou de reculer. Ce choix, Jésus devra le refaire lors de l’agonie au jardin des Oliviers, mais il montrera à nouveau courage et décision. Jésus, homme du combat intérieur, non pas un surhomme sans réactions ni un pantin dont la vie est décidée par d’autres, mais un homme qui lutte puis s’engage. Sa liberté va jusqu’au bout du don, sans éviter les choix douloureux.

Oeuvre de James Tissot, c.1886-1894, Brooklyn Museum

Ce texte de route (faire route revient cinq fois) aborde aussi les exigences du cheminement. Trois courts dialogues posent les conditions de la suite de Jésus. Cette route n’est pas n’importe laquelle, c’est celle de la mission qui requiert disponibilité et liberté. Aussi Jésus insiste-t-il sur ce qui fait obstacle à la mobilité et à l’engagement : la maison et son milieu stable et protecteur, les liens familiaux et leur poids de devoir, l’attachement à ses racines et les convenances qui en découlent. Ces relations et observances sont celles qui donnent une identité et qui inscrivent dans une histoire immédiate. Mais ils peuvent empêcher l’entrée dans une fraternité plus large et l’option pour une mission risquée. L’attachement au Règne de Dieu demande un détachement des liens qui peuvent ligoter les pieds et le cœur. Sans cette liberté intérieure, il est difficile d’inventer des voies nouvelles et de tenir devant l’opposition, la lassitude ou les conflits internes.

Il y a des moments dans nos vies où nous devons affronter une situation difficile et faire un choix. La tentation est grande de retourner en arrière, de remettre à plus tard ou de nous évader dans les tâches. Mais le défi demeure devant notre face, entier. Il met en jeu la fidélité à qui nous sommes et il fait appel à notre liberté, capable de courage et d’espérance. Des liens chers et des souvenirs attachants nous retiennent, sans compter notre souci de l’opinion. Peur et goût d’avancer luttent en nous. Cela vaut pour les individus mais aussi pour des groupes et communautés. Face à ces dilemmes, le texte de Luc n’offre pas de résolutions automatiques, qui éviteraient le passage par les choix douloureux mais féconds. La route est incertaine, les repères habituels s’y effacent, mais d’autres apparaissent, centrés sur un mystère où mort et vie s’entremêlent dans la lumière obscure d’un horizon.

Questions pour la réflexion :

Dans ce visage de Jésus, qu'est-ce qui me touche particulièrement ?

Sur ma route, quels choix difficiles ai-je déjà faits ou dois-je faire maintenant ?

Qu'est-ce qui me retient? Qu'est-ce qui me donne le courage d'avancer ?

Daniel Cadrin, o.p.