Entre stupeur, mémoire et témoignage

Luc 24, 35-48 : 3^e dimanche de Pâques (Année B)

En ce temps pascal, Luc nous parle aujourd’hui de la présence du Christ ressuscité, de l'expérience qu'en font les disciples au soir de Pâques. Tout d'abord, le contexte est celui d'un rassemblement et d'un repas : le Christ mange avec eux. Ce n'est pas une expérience que chacun vit isolément. Trois éléments en ressortent, comme trois étapes de la rencontre du Christ vivant.

Oeuvre : Duccio di Buoninsegna, 1308-1311, Musée dell'Opera del Duomo, Sienne

La première est celle du bouleversement qui vient de la saisie que Jésus est vivant. Non comme un personnage mythique ou un beau principe, mais comme une personne, dans son humanité transfigurée par la résurrection. Le même Jésus qui est passé par la croix, qui a pris le chemin du serviteur aimant jusqu'au bout. Les disciples le découvrent dans l'enthousiasme et l'énervement que crée toute expérience religieuse forte. On peut noter les nombreuses expressions que Luc utilise : disciples frappés de stupeur et de crainte, bouleversés, doutes qui surgissent, joie, ils n'osaient y croire, étonnement, etc.

Les disciples auraient pu en rester là, dans ce bouleversement intense qui piétine un peu. Une deuxième étape de la rencontre advient alors. Il s'agit d'une intelligence des événements, qui dépasse les premiers sentiments et cherche le sens des choses. Ce travail se fait avec les Écritures. Ici se déploient la signification et la portée de la mort et de la résurrection de Jésus le Christ. Nous n'en restons pas à la confusion de la première expérience. C'est le temps de l'approfondissement de la foi. Les disciples auraient pu aussi s'arrêter là. Mais la rencontre du Christ ressuscité va plus loin. Elle comprend un troisième temps, celui du témoignage, qui pousse les deux premiers à leur pleine réalisation. La rencontre aboutit à une communication de ce qui a été vécu et saisi. C'est ce que les disciples feront par la suite.

En ce temps de nos pâques, l'expérience chrétienne est parfois éclatée sur des chemins parallèles qui ne se rejoignent pas ou n'aboutissent pas. Certains découvrent le visage du Christ et en éprouvent un sentiment qui les comble, mais ils en restent là. L'expérience forte accapare leur attention, ils cherchent à la maintenir ou à la retrouver; alors, elle s'enroule sur elle-même, ne réussissant pas à s'investir dans une recherche de sens et dans une parole. D'autres sont engagés au service de l'Évangile et travaillent fort, mais ils se retrouvent souvent à bout de souffle, écrasés par les services à assumer. Au bout du compte, ils ont parfois l'impression de ne plus être là, accaparés qu'ils sont par les tâches multiples. N'aurions-nous le choix qu'entre une contemplation qui se perd dans les tunnels intérieurs du sentiment religieux et un engagement qui s'épuise à courir dans les corridors de l'action?

Devant ces situations, Luc nous rappelle qu'il n'y a pas de mission confiée sans expérience personnelle du Christ, sans découverte bouleversante, et sans travail en profondeur sur sa richesse de sens et d'espérance. Mais aussi, il nous dit qu'il n'y a pas de découverte du Christ vivant sans mission à recevoir. La rencontre du Christ ne peut enfermer sur soi et ses premières réactions. Elle ne peut avancer qu'en dépassant les sentiments confus, en fouillant les Écritures et en prenant parole pour la communiquer. Où que nous soyons dans nos cheminements, la salutation du Christ au milieu de ses disciples, « la paix soit avec vous », vient nous donner la confiance de poursuivre, de recommencer, d'aller plus loin.

Questions pour la réflexion :

Actuellement, où est-ce que je me situe entre stupeur, mémoire et témoignage?

Quelle étape aurais-je besoin de solidifier? Et comment?

Daniel Cadrin, o.p.