Le temps du long souffle

Marc 4, 26-34 : 11^e dimanche du temps ordinaire (Année B)

À quoi cela sert-il d’investir temps et énergies à témoigner d’un Dieu différent, à chercher à faire Église, à promouvoir paix et justice? Les résultats sont souvent minces, peu évidents et jamais acquis. Le temps passe et nous avons l’impression que rien ne se passe. Expérience de projets qui n’avancent pas, de liens et solidarités qui sont fragiles, de résistances rencontrées devant les nécessaires transformations, de la petitesse de nos signes de vie. Avec les tentations de la résignation ou du durcissement. Les travaux et les jours se suivent et se ressemblent.

Oeuvre : Dimitri Nicksor, icone

Où cela mène-t-il? Nous aimerions voir immédiatement les fruits de nos efforts. Jésus et les premiers disciples, comme nous, ont dû se poser des questions de ce genre. Les paraboles d’aujourd’hui s’inscrivent dans ce questionnement. Le règne de Dieu y est présenté comme une réalité qui n’est pas immédiatement perceptible, qui ne s’offre pas à voir dans des effets éclatants et rapides. C’est une réalité vivante, en croissance discrète, qui a son propre dynamisme. Processus souvent silencieux, car à l’œuvre dans le mystère des sols profonds et des germes, dans celui des cœurs humains et de leurs zones les plus souterraines. Mais c’est une réalité prometteuse, comme l’insignifiante graine de moutarde qui devient lieu de rassemblement universel.

Participer à cette œuvre suppose d’entrer dans un véritable long terme, qui ne peut se fonder que sur une espérance. Devenir disciple de Jésus, c’est d’abord entrer dans un autre rapport au temps, où les événements les plus ordinaires ne sont pas des pièces détachées, mais font partie d’une histoire d’alliance, où les temps de mort et de don sont source de vie nouvelle, où les silences et les solitudes sont porteurs de communion. Un temps où les échecs et les insuccès ne sont pas des fatalités irrémédiables, où les jours se suivent sans se ressembler, car chacun est unique. Un temps autre avec sa propre logique, déconcertante, qui vient déranger celle de nos fonctionnements habituels dominés par l’automatisme de la production, l’instantanéité de la consommation, et l’oubli rapide de tout cela.

Un temps avec des commencements discrets, des continuités et des croissances secrètes, des nouveautés inespérées et inimaginables. Un temps, dont la mesure propre n’est pas la petite semaine et le tic-tac des minutes, mais celle des échanges entre le jour et la nuit, des correspondances entre l’Exode et le mystère pascal, entre l’exil et nos propres passages. Un temps avec une mémoire et une promesse, un temps d’espérance.

Temps du long terme et du long souffle, temps de l’Esprit. Pour mesurer les avances et vérifier les résultats, le regard prophétique convient davantage que celui du gestionnaire. Nous engager à œuvrer pour le règne de Dieu, c’est choisir de vivre maintenant dans ce temps des promesses. Malgré les pesanteurs des institutions, c’est avoir l’audace de la grâce et le courage de l’attente active. Devant les lenteurs des maturations, c’est continuer dans la confiance qu’un arbre et des fruits viendront, en leur temps, à faire nôtre.

Questions pour la réflexion :

Quelles impatiences me tiraillent et réduisent mon horizon?

Quel arbre est en train de grandir, tout proche ou plus loin, à voir et admirer?

Avec d'autres, quelle graine de moutarde pourrais-je semer? Et en quelle terre?

Daniel Cadrin, o.p.