Entrer dans une dynamique du don
Jean 12, 20-33 : 5e dimanche du carême (Année B)
Oeuvre : Bernadette Lopez, 2006, www.evangile-et-peinture.org
Voici que des Grecs veulent voir Jésus. Ils s’adressent à Philippe, son disciple. Commence alors une sorte de relais, assez étrange. Philippe en parle à André. Puis, les deux vont le dire à Jésus. Et celui-ci, au lieu de regarder son agenda pour voir à quel moment il pourrait rencontrer ces Grecs, se lance dans un discours théologique : il parle du Fils de l’Homme, de l’heure venue, du grain qui meurt, de la gloire, du jugement. Et même une voix du ciel s’en mêle! Ces Grecs ont dû peut-être se dire : « Mais on voulait juste le rencontrer! Finalement, on peut le voir? » Mais nous sommes ici dans l’Évangile selon Jean : ce qui peut sembler du coq-à-l’âne est en fait plus cohérent et riche de sens que ce premier regard. Oui, il s’agit de voir Jésus, d’avoir accès à lui, requête toujours actuelle autour de nous et en nous. Que nous dit Jean là-dessus? D’abord que l’accès à Jésus passe par ses disciples, comme si la Bonne Nouvelle ne pouvait passer que par des témoins personnels, par une sorte de relais de l’expérience croyante passant par ceux et celles qui croient en Jésus et le suivent. L’accès à Jésus passe, aujourd’hui encore, par ces réseaux. Car cette Bonne Nouvelle n’est pas d’abord une idée, un programme, mais quelqu’un, qui fait entrer dans une communion fraternelle. Les liens personnels se trouvent autant aux débuts de la quête de Jésus qu’à son terme.
Ensuite, cet accès est pour tous, car il s’agit ici de Grecs adorateurs, de païens proches du judaïsme; le cercle s’élargit au-delà du monde juif. Il n’est pas surprenant que ce texte se termine par l’affirmation de l’universalité de la croix, où Jésus, élevé de terre, attirera à lui tous les humains. La croix, plantée entre terre et ciel, comme réalité et symbole de convergence, de rassemblement. Cela est encore plus vrai aujourd’hui où la foi en Jésus est partagée par des personnes de tous les continents.
La réponse de Jésus à la demande d’une rencontre peut sembler étonnante. Dans ses paroles, elle n’offre pas un contact immédiat. Il est plutôt question de l’heure venue, celle de la glorification du Fils de l’Homme, et du grain de blé qui meurt et porte des fruits. Devant cette demande, un signe est proposé : celui de la croix, du mystère pascal, dans son mouvement de don, de la mort à la vie. Un signe à contempler : Vous voulez voir Jésus? Regardez la croix, c’est là qu’il se donne à voir en vérité. C'est aussi un signe auquel participer de l’intérieur, dans lequel entrer pour vraiment voir Jésus. Car, pour le voir, il faut aussi le suivre. Cet engagement appelle à entrer dans une nouvelle dynamique, faite de décentrement de soi et de risque. S’accrocher à soi, par peur de se perdre, mène au contraire à la perte de soi. Alors que la logique du don de soi, paradoxalement, conduit à une vie abondante. Aux disciples, qui courent des risques, est promise une transformation de soi, sous l’amour bienveillant du Père.
Mais cette communion à la croix et à la gloire du Christ inclut aussi le passage par le trouble, par l’hésitation à aller plus loin. Jésus lui-même est passé par là : devant cette heure venue, il est bouleversé. Il est tenté de fuir cette ultime affrontement. Puis, il se ressaisit et choisit résolument de faire face. On retrouve ici, dans l'Évangile selon Jean, des éléments que les autres évangélistes ont placés dans l’agonie au jardin des Oliviers. Si Jésus lui-même a dû traverser ce moment de trouble intérieur, nous n’avons pas à nous étonner de nos propres périodes d’incertitude et d’hésitation devant des choix à faire. Ces passages douloureux font partie du mouvement pascal, de la dynamique du don. Aucune technique spirituelle ne peut nous assurer une traversée de la nuit qui serait plaisante ou rapide. La croix reste plantée en terre.
Questions pour la réflexion :
Voir Jésus : comment puis-je aller plus loin dans cette quête?
Suivre Jésus : comment puis-je entrer davantage dans cette dynamique du don?
Quelles hésitations m'habitent devant ces passages à vivre?
Daniel Cadrin, o.p.
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